jeudi 4 juin 2020

Séropo et Vihvant

Il y a surement autant de façons de vivre sa séropositivité que de personnes séropositives, tant chaque expérience est unique et dépend d'une quantité énorme de facteurs extérieurs. Mais il existe tout de même des similitudes dans nos histoires avec le VIH. Pour certains, ça peut être ressenti comme une difficulté de plus, une erreur de parcours à laquelle on ne s'habitue pas. Pour d'autres, le diagnostic du VIH est vécu comme un cap franchi, la fin d'une ère et le début d'une nouvelle, l'occasion parfaite pour se questionner sur qui on est, où l'on va, et en quoi on pourrait transformer ce petit séisme qui vient bousculer nos vies. Un séisme qui comme toute force est constitué d'énergie, de l'énergie pure à portée de main. Le moteur de quelque chose qui ne revient qu'a nous de découvrir. On peut tout à fait ne rien en faire, mais comme d'innombrables autres séropositifs, j'ai choisi de l'utiliser à mon avantage.

Je souris parfois en pensant à mon moi d'avant, il y a plus de cinq ans. Au recul sur la vie que j'imaginais avoir et à la sagesse que j'estimais acquise au fil des épreuves. C'est toujours une erreur, à n'importe quel moment de sa vie, de croire qu'on ne peut plus grandir. Quand je venais d'apprendre que j'étais séropositif, c'était compliqué d'avoir une vision d'ensemble et encore plus d'y voir quelque chose qui me ferait grandir. 

Je suis resté la même personne, mais c'est comme si, d'un seul coup, je voyais les choses d'une perspective différente. Que depuis tout ce temps, finalement, plein de choses m'étaient invisibles, hors de portée, et que j'en avais subitement pris conscience : je voyais maintenant le monde en tant que séropo. En tant que minorité dans une minorité, j'ai pris conscience d'injustices que je ne connaissais pas, de l'histoire riche et forte des séropos, de leurs récits et témoignages trop souvent occultés par le commun des mortels comme s'ils étaient trop précieux pour être compris. C'est d'abord la force des gens qui m'a sauté aux yeux, et donc la mienne. J'avais appris que j'avais le VIH, un truc qui faisait flipper tout le monde, mais j'avais pu aller au delà de ça et continuer ma vie de petit mec en gardant le sourire, quelque chose que je n'aurais pas imaginé avant. J'ai rencontré d'autres séropos, encore plus courageux que moi, beaux et fiers de qui ils sont. 

En voyant tout ce que je ne voyais pas avant, ma sensibilité a évolué aussi. Mon empathie pour les gens, pour mon entourage. Toute cette histoire permet de relativiser sur énormément de choses et d'avoir une compréhension plus globale, une certaine humilité quand on se met à l'écoute des autres et de leur histoire. De compatir davantage aux expériences fortes. Avoir le VIH, ce n'est et n'a jamais été une faute, c'est un truc qui vient se greffer à la vie et qui se mélange au reste, qui devient totalement secondaire. Et quand on arrive à ne plus se juger soi même, on ne juge plus les autres. Ça me rappelle que je suis vivant, que je peux profiter de plein de choses et qu'il aurait pu m'arriver bien pire que ça. 

Quand j'ai vu mon médecin, il a voulu me rassurer : sport, nutrition, espérance de vie en bonne santé, tout reste normal. Il a fallu qu'il me dise ça pour que je m'y mette, parce que j'avais finalement la chance de vivre tout un tas de choses que j'avais négligé et qu'on n'a pas tous la possibilité d’expérimenter. Je suis allé faire du vélo près des flamants roses, j'ai réduit ma consommation de viande pour faire des meilleurs repas, j'ai dépensé mon énergie à quelque chose car je le pouvais. L'arrivée du VIH dans ma vie, ça m'a rappelé que j'avais la santé, que je pouvais faire tout un tas de trucs grâce à elle, et aussi que je pouvais l'entretenir. Non pas car je risquais de la perdre à cause du VIH, mais parce que j'ai pris conscience qu'elle était là.

C'est aussi dans ces moments là qu'on prend conscience qu'on compte pour d'autres. Pour sa famille, ses proches, ses amis, ou simplement des gens à qui l'on parle via nos écrans. Ça m'a rapproché de ma famille, de mes amis, mais aussi de personnes insoupçonnées, rencontrées sur le parcours, et qui n'ont eu que des intentions bienveillantes envers moi. Des gens qui n'ont jamais vu ma situation comme quelque chose de grave ou de dramatique, qui n'ont simplement pas changé leur comportement à mon égard, qui ont compris, sans avoir besoin de leur dire, que le VIH ne changeait absolument rien à ce que je suis, à part qu'il me rendait plus fort.

Le VIH est aussi un excellent filtre dans les relations avec les autres. On peut facilement avoir un aperçu de la mentalité de quelqu'un à sa façon de considérer les personnes séropositives, ce qui permet de faire le tri beaucoup plus facilement. La sérophobie allant pratiquement toujours de pair avec d'autres conneries idéologiques, ça peut permettre un gain de temps non négligeable.

Pour finir, il y a cette facette absolument géniale, quand on décide de témoigner comme je le fais, c'est l'espoir qu'il crée en nous d'un monde meilleur et d'une humanité plus inclusive, c'est les petits messages qu'on reçoit et qui nous changent la vie, c'est de voir de nos propres yeux que ce qu'on écrit et ce qu'on dit change un peu la donne. C'est les appels téléphoniques en pleine nuit qui me reboostent à l'infini et me permettent de terminer cet article, et c'est toutes ces merveilleuses personnes que je n'aurai jamais connues autrement.

Aucun commentaire: