C'est une crainte chez bon nombre de séropos, ce moment où on rencontre quelqu'un et qu'au fil du temps on apprend à se connaitre, on parle de choses de plus en plus personnelles. On s'attache, et ça devient compliqué de ne pas parler de son statut VIH. Personne n'a envie de mentir, même par omission. Qu'on ait quelques mois ou des années derrière nous depuis notre diagnostic, on a pratiquement tous été confrontés à de la sérophobie, du rejet - même indirectement, si on a vu des trucs blessants ou lu des propos discriminatoires. On le sait, en 2020, c'est toujours risqué d'annoncer sa séropositivité. Ça peut faire mal. Encore plus quand on perd quelqu'un à qui on s'était attaché.
C'est une crainte totalement fondée et personne ne va vous la reprocher. J'ai moi même cette crainte, à tous les coups. J'imagine toujours le pire : voir le dégoût ou la peur dans les yeux de l'autre, qu'il se barre et ne donne plus jamais de nouvelles.
Certains s'y prennent de façon très directe : ils le disent dès le début. Ça demande beaucoup de courage, mais c'est une bonne façon de se protéger. Ça peut tout à fait fonctionner, et si ce n'est pas le cas, ça permet de ne pas tomber de trop haut si on se laisse s'attacher. Personnellement, j'ai opté pour autre chose. Je dis que j'ai le VIH au troisième rendez-vous.
Pourquoi le troisième ? Parce que je suis de ceux qui croient que la sérophobie, c'est d'abord de l'ignorance. Et que n'importe qui peut être informé et éduqué. Être sérophobe, ce n'est pas incurable. En attendant le troisième rendez-vous, la personne a le temps de connaitre le reste de ma vie, tout ce qui me caractérise à l'exception du VIH. Parce qu'avoir le VIH, ça ne résume pas une personne. On est plein d'autres choses, j'aime jouer aux jeux vidéo, écrire des petites histoires, fumer des joints dans un bon bain chaud, regarder des séries et apprécier leur bande sonore, etc...
A trois reprises, j'ai pris mon courage à deux mains pour le dire à des personnes que j'avais rencontrées. Et tout ça est très rassurant : ça s'est toujours très bien passé.
La première fois, c'était avec B., un professeur sourd rencontré sur Grindr. On est allé boire un café pour se rencontrer, et j'ai tout de suite ressenti quelque chose. Il était hyper charmant, un regard mignon et pas mal de choses à raconter. Tous les deux, on était resté plus de deux heures autour de ce café en ne pouvant décoller nos deux sourires de tout le rendez-vous.
On s'est revu ensuite, les choses avaient fait un bond, on s'est embrassé en se quittant puis j'ai commencé à réfléchir à la façon de lui annoncer ma séropositivité. Je ne l'avais encore jamais dit à quelqu'un dans ce contexte là. Au troisième rendez-vous, tout tremblotant, je lui ai dit. Il a sourit, et on s'est fait un câlin, comme celui qu'on se faisait quelques minutes avant. Finalement, rien n'avait changé. Il était déjà informé sur le VIH grâce à une émission en langue des signes dont il m'a parlé, "L'oeil et la main", sur France 5. (https://www.france.tv/france-5/l-oeil-et-la-main/438505-sida-des-raisons-d-esperer.html). Dans cette émission, ils n'ont pas oublié de dire qu'une personne séropo sous traitement ne transmet plus rien. Et ça a peut-être tout changé. On s'est revu plein de fois ensuite, vivant comme un petit couple, allant à la fête de la musique en se tenant la main. Mais il a ensuite déménagé, nous sommes restés en bons termes.
La deuxième fois, c'était après ma rencontre avec C. Un mec un peu plus jeune que moi. Je sentais cette fois ci qu'il n'était pas très informé, alors j'ai tenté d'aborder le sujet sans m'inclure personnellement, lui dire que je réfléchissais à devenir bénévole chez AIDES, voir sa réaction. Le sujet ouvert, ça m'a aussi permis de dire de façon innocente que les séropos sous traitement ne transmettent pas le VIH, comme ça j'étais certain qu'il le savait avant que je lui dise que je l'ai. Encore une fois, ça s'est bien déroulé, il m'a embrassé et j'ai répondu à ses questions. On s'est revu une fois ensuite, mais ça s'est plutôt mal passé pour des raisons autres que le VIH. Donc j'ai lâché l'affaire.
Puis, il y a eu M. Un mec de quarante ans avec qui on a discuté un peu puis eu assez rapidement une relation sexuelle. Ça rajoutait un peu de stress, de devoir dire à un mec qu'on a le VIH après avoir couché avec, surtout s'il n'est pas informé et croit à tort qu'on lui a fait courir un risque. Je l'ai quand même revu une deuxième fois, tout se déroulait bien, c'était très romantique et en même temps torride. La troisième fois, j'ai réutilisé ma technique de bénévole pour AIDES, pour tester sa réaction. Aucune réaction, puis-ce qu'il ignorait absolument tout du VIH. Il ne savait pas ce que voulait dire indétectable, il ne connaissait pas la PrEP, rien du tout. En fait, il n'avait pas d'avis ni de réponse à me donner. J'ai décidé de lui dire. Mon coeur battait la chamade, mais il a posé sa main sur ma cuisse et m'a laissé le temps de lui expliquer ce qu'il ne savait pas. Il buvait mes paroles et ne remettait rien en doute. On a passé la nuit ensemble, et bien d'autres nuits ensuite. Aujourd'hui, il est sous PrEP et bien informé sur le VIH. Ce n'est finalement jamais devenu sérieux entre nous, mais on garde un bon contact.
En prenant en compte ces trois expériences, et en sachant que deux de ces personnes étaient complètement ignorantes sur le sujet, qui sait si elles m'auraient laissé nouer des relations avec elles si j'avais d'emblée dit que j'étais séropositif au départ ? Je me suis dit, au final, que d'attendre un peu avant de parler de ma séropositivité quand je rencontre quelqu'un, c'est me laisser une chance en tant que personne qui est plein d'autres choses, mais c'est aussi leur laisser une chance à eux, qui ne connaissent rien au sujet et qui, sur le coup, auraient pu réagir de façon instinctive, d'une manière qu'ils n'auraient sans doute pas contrôlée.
Si je raconte tout ça, ce n'est pas par besoin de raconter ma vie. C'est aussi pour peut-être atténuer cette crainte chez certains séropos. Parler du VIH à quelqu'un à qui l'on tient, ça se passe très bien dans la plupart des cas. Et si ça se passe mal, vous ne perdez pas grand chose si ce n'est une personne pauvre d'esprit qui finira sa vie seule à la recherche de l'homme parfait sur Grindr, encore 20 ans plus tard.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire